Le changement? A quelles conditions?

Médiapart, sous la plume d'Edwy Plenel vient de publier un article sous le titre: "Le changement, c'est au parlement". Il m'a semblé utile de produire le commentaire qui suit en réaction à cette article. J'ai pensé pouvoir le porter à la connaissance des lecteurs de Domagné-Débats

 

Le problème est-il ainsi bien posé? Bien sûr qu'il n'est pas indifférent de savoir si le parlement sera l'expression de la diversité des préoccupations de l'ensemble de la population dans son ensemble, s'il sera capable d'ordonner les priorités et de prendre le décisions nécessaires, pour assurer de façon durable, des conditions de vie satisfaisantes pour la totalité de la population de notre pays.

Cela dit, regardons d'un peu plus près les différents contextes dans lesquels des mesures progressistes présentant un caractère historique, ont pu être adoptées au cours du siècle passé.


Une des premières mesures de ce type fut la loi relative à la journée de 8 heures. Cette revendication avancée par la première internationale, portée par la CGT au cours du 19ème siècle ne fut adoptée par le parlement que le 23 avril 1919. Dans l'intervalle, l'idéologie dominante relativement aux rapports entre le capital et le travail n'avait pas fondamenta-lement changé. Ce qui avait changé c'est l'entrée massive des femmes dans les usines pour remplacer les hommes mobilisés, le retour de ces derniers, meurtris par l'enfer qu'ils avaient vécu et qui n'auraient pas accepté que la somme des souffrances endurées au front, débouche sur un retour à la vie civile et à la production marqué par des conditions de travail demeurées pénibles, éreintantes. La colère sourde, née de la guerre pouvait fort bien éclatée en grèves, en manifestations, en émeute. La loi sur la journée de 8 heures était avant tout une mesure d'apaisement de la grogne sociale en gestation. Dans ce cas le parlement tire simplement les conséquences de son appréciation du réel.


En 1936, une gauche diversifiée est majoritaire au parlement mais les différents courants qui la composent sont bien loin d'avoir les mêmes positions à l'égard des revendications du monde du travail. Ce sont les grèves de Mai et juin 1936 qui ont contraint le patronat aux accords Matignon, le gouvernement de Front Populaire accompagnant de manière compréhensive le mouvement populaire en cours. 4 ans plus tard une majorité des députés de ce même parlement vota la déchéance des députés communistes et remit à Pétain le sort du pays.


Avant même que la Libération ne soit achevée, c'est par décrets que le Gouvernement Provisoire pris en compte des propositions majeures du Conseil National de la Résistance. C'est donc "l'état de Résistance" né de l'occupation allemande et de la lutte contre les occupants qui fut le creuset de la nouvelle situation politique et des mesures adoptées.

Le programme du CNR comportait aussi  la revendication "d'un plan complet de sécurité sociale" dont l'élaboration demanda au ministre syndicaliste et communiste Ambroise Croizat, en relation avec les organisations syndicales, près de 2 années d'élaboration aboutissant à la loi du 22 mai 1946 instituant le « régime général » de sécurité sociale. Le parlement élu à cette époque pouvait difficilement faire abstraction de l'état d'esprit revendicatif né de  la Résistance.


En 1968, nouvelle période de revendications sociales. L'Assemblée nationale élue depuis un peu plus d'un an est en majorité de droite. Le gouvernement Pompidou est contraint de négocier devant l'ampleur du mouvement social. Les accords de Grenelle débouchent notamment sur une augmentation moyenne des salaires de 10%, le SMIG lui augmentant de 35%. Ici encore c'est le mouvement social qui détermine le niveau des avancées.


Plus récemment, l'affaiblissement relatif du mouvement syndical ne lui a pas permis, malgré de très fortes mobilisations de résister efficacement au déterminisme libéral et à la morgue de l'UMP majoritaire à l'assemblée. A contrario, après plus de 20 ans de gouvernement de droite, l'élection de 1981 n'a permis qu'une embellie de courte durée en l'absence d'un mouvement social déterminé.


Ces illustration me semble-t-il, témoignent de la synergie nécessaire entre le mouvement social et la composition des institutions parlementaires pour réussir des avancées sociales significatives. Renoncer à peser sur la composition de l'assemblée nationale en s'abstenant de voter est donc agir contre ses propres intérêts. S'en remettre purement et simplement aux députés pour répondre aux préoccupations qui animent chacun est, il faut bien l'admettre une attitude bien naïve.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :